L’Algérie, sa mémoire et ses infographies

Christophe Le-Bas
7 min readMay 24, 2019

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En avril, l’Aisne nouvelle a travaillé sur la guerre d’Algérie. 297 personnes, ayant vécu dans le département ou étant nées localement, ont perdu la vie dans ce conflit. Constitution de base de données, traitement, mise en forme… Voici les dessous d’une série d’infographies.

Ils ont vécu dans l’Aisne, ont été casernés dans l’Aisne… et sont nés partout en France

L’idée est venue en mars 2019. Le 19 mars, on commémorait le cessez-le-feu de 1962, qui mettait fin à huit ans de guerre. Par curiosité, nous avons cherché à savoir combien d’Axonais étaient morts pendant ce conflit. Un peu à l’image de ce qui s’est fait pour la Première Guerre mondiale. Beaucoup d’infographies avaient été produites autour des Poilus et de la Grande Guerre.

Notre premier réflexe a été de nous rendre sur le site du gouvernement : Mémoire des hommes. Il y a bien un onglet “Guerre d’Algérie”, mais cela ne convenait pas. Nous pensons qu’il y a eu une mise à jour depuis nos visites car impossible de se souvenir de ce qui ne convenait pas :|

Seconde idée, toujours le 19 mars : MémorialGenWeb. Là encore, un site excellent. Mais, il ne listait qu’une soixantaine de noms. Cela semblait un peu faible pour 8 années de conflit. Du moins, c’était suffisamment surprenant pour que nous prenions la décision de reporter un article sur la thématique de la guerre d’Algérie.

Entre temps, nous avions tout de même scrappé la base de données de MémorialGenWeb à l’aide de l’outil Chrome Dataminer. Ce n’est pas la première fois que nous en parlons, et cet outil (un add-on de Chrome), est vraiment pas mal. Pas aussi bien que OutwitHub mais il mérite d’être testé. Le webscrapping, c’est récupérer le contenu des pages d’un site Internet sous forme de tableau Excel. Pour faire simple. C’est extrêmement pratique.

Data Miner…

Finalement, nous avons trouvé LA bonne source. Celle qui permettait de connaître le nombre d’Axonais morts, ainsi que le lieu, la date et les circonstances de leur décès. MAIS AUSSI : le lieu de naissance, la date de naissance, le lieu de la sépulture, le lieu de résidence… tout. Où donc ? Auprès de la FNACA. La Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, Maroc et Tunisie de l’Aisne (FNACA) a publié un livre, il y a plusieurs années, intitulé “Non à l’oubli, l’Aisne, un département meurtri”. C’est avec cette base que nous avons travaillé. Une base de données rédigée par Daniel Henry et Michel Le Roux. Un travail colossal. Plus de 300 pages, des centaines de noms, des fragments de vie, et des photos des combattants.

Un nom/un domicile/un lieu de naissance : il y a une base de données pour ça.

Eric Jonneau a interviewé Jean Husson. Il a fait deux ans en Algérie et son témoignage sur la guerre mérite d’être lu. Vraiment. On sent bien la difficulté de parler du conflit et une certaine amertume. Nous avons obtenu ce contact via la FNACA.

Pour ce qui est de l’ouvrage et de la base de données. Le livre dénombre 297 Axonais morts en Algérie. C’est plus que ce que nous avions trouvé jusque-là. Pourquoi ? Car la FNACA a recensé ceux qui ont vécu dans l’Aisne. Pas seulement les personnes nées dans le département. Mais ceux qui y ont vécu. Soit pour des besoins militaires (garnisons), soit… pour la vie quotidienne. Un déménagement est si vite arrivé. Ce qui est, à notre avis, très riche humainement. Nous avons des personnes nées en Pologne, venues en France, dans l’Aisne, et morts en Algérie. Ce chemin de vie est notable.

En revanche, tout n’est pas arrivé clef en main. Voici un aperçu de ce que nous avions :

La base de la FNACA, et ses 312 lignes.

On peut le voir, il y a plusieurs soucis. D’abord, certaines cellules sont regroupées. Deux cellules pour une info, avec des retours à la ligne... Nous avions donc 312 lignes pour 297 noms. Il fallait nettoyer cela. De plus, il manque beaucoup de choses : grade, lieu de décès, l’âge de décès, la date de naissance… Nous avons donc feuilleté le livre pour fabriquer un tableau Excel complet.

Puis, nous avons calculé le nombre de décès par année de conflit, déterminé le mois le plus meurtrier, l’âge des disparus… La formule de calcul d’occurrences est, ici, utile (=NB.SI(A:A;A2) si vous voulez connaître le nombre d’occurrences de la valeur A2 dans la colonne A).

Les barres, c’est le bien.

Plus techniques : les lieux de décès et de naissance. Il fallait localiser ces points sur une carte. Pour les lieux de naissance, peu de souci. On utilise Geocode by awesome table. Un add-on dans Google Sheet. Il a plutôt bien fonctionné et nous avons obtenu les coordonnées latitude et longitude des communes de naissance des soldats.

Mais au moment de retranscrire ceci sur notre carte, nous avons dû faire quelques modifications. Plus d’une dizaine de soldats sont nés à Saint-Quentin. Or, Geocode ne fait pas de différence. Il enregistre la latitude et longitude de Saint-Quentin 10 fois et s’arrête là. Nous avons donc modifié manuellement les résultats afin de faire apparaître dix points à Saint-Quentin. Nous n’avions pas l’adresse de naissance des soldats, aussi avons nous placé quelque peu aléatoirement les points. Ce faisant, la carte reste lisible et fidèle au nombre de disparus. Pour cela, nous avons utilisé coordonnees-gps.fr. Ce site est un ami. Mais une vraie difficulté demeurait.

Un ami…

Le moment le plus complexe a été de localiser les lieux de décès. Situer Alger, Oran, Orleansville, c’est facile. Mais Douar Boumad… Ou encore Oued Tamza, Ihaggarene et beaucoup d’autres : voilà un défi. Certains lieux ont changé de noms depuis la guerre. Il a fallu chercher, pour chacun des bugs de Gecode by Awesome Table, les bons endroits. L’add-on trouvait deux coordonnées différentes pour un même lieu. Parfois, il plaçait Alger à 5 endroits différents…

On découvre, à ce moment, que la guerre d’Algérie n’est pas toujours très bien documentée. Le travail des historiens sera difficile. Dans tous les cas, il faut vérifier les points. Un à un. Pour être certain de ne pas avoir de doublon/de mauvais placement. C’est long. Mais c’est une étape importante. La vérification. Et nous craignons que certains points ne soient pas exactement bien placés. Malgré notre bonne volonté (si vous voyez des erreurs, MP !).

Une fois ce travail laborieux achevé, nous avions, enfin, un document Excel pleinement exploitable. La création des diagrammes en barres a été rapide. Les cartographies ont demandé plus de travail.

Cette carte montre les lieux de décès des différents soldats/civils du conflit. Chaque point est un mort. Pour parvenir à ce résultat, il faut une latitude longitude et une date à afficher. Nous avions ces éléments, parfait. Mais (oui, toujours un mais…) plusieurs soldats sont morts au même endroit et à la même date. Flourish, surement égaré par cette information, plaçait les points… dans l’océan. C’est logique. Quand on est perdu, on balance tout à la flotte… !!!!!

Hulk, c’est Flourish. L’ours, les datas. Les gens choqués, moi.

Nous avons donc légèrement changé les coordonnées et cela fonctionnait à nouveau. Seconde carte : les lieux de naissance. Ici, nous avons ajouté les photos des soldats. Des images collectées par la FNACA. L’ensemble des photos pesait environ 200mo. Beaucoup trop pour le web. Nous avons donc redimensionné les images pour que cela ne pèse plus que 1mo.

Enfin, la carte des lieux de décès, en fonction du nombre de morts. Une fois le document Excel vérifié et convenablement nettoyé, cela a été simple.

Nous avons, pour finir, mis tout ceci dans une story de Flourish. Et cela donne une dataviz intéressante.

La production finale.

Pour être vraiment complet, et éviter aux lecteurs de devoir lire toute la story (on sait que les gens n’ont pas toujours le temps), nous avons mis notre base de données dans un tableau Flourish. Le lecteur peut feuilleter le document à sa guise, sans devoir passer de diapositive et diapositive.

Nos éléments.

Au final, nous n’avons fait que restituer, dans un format web, ce qui existait au format papier. Le livre de la FNACA est vraiment intéressant et livre beaucoup d’informations supplémentaires sur les soldats, leur vie pendant le conflit, les circonstances du décès.

L’une des infographies… n’apporte pas grand-chose à mon avis. La carte avec les points animés. C’est joli, ça fait “wahou” mais… bon.

Merci de m’avoir lu et si vous voyez une erreur, MP, ici ou sur Twitter.

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Christophe Le-Bas
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Written by Christophe Le-Bas

Journaliste vagabond, papier, web, data, etc. Ex-La Voix du Nord — Nord éclair — Courrier Picard — L’Aisne nouvelle. De retour à La Voix du Nord #data #dataviz

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